creer jeu de societe

Creer un jeu de societe (1/2) : en coulisses avec Vincent Goyat.

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Comment créer un jeu de société ? Vous vous êtes peut-être déjà posé la question, que vous rêviez de devenir auteur de jeu de societe, de travailler pour un éditeur ou tout simplement en tant que joueur passionné.

Pour plonger dans les coulisses de la création des jeux de société, j’ai eu la chance de pouvoir poser plein de questions à 2 pointures du monde ludique ! De part et d’autre de l’Atlantique, j’ai rencontré 2 personnes aussi passionnées que passionnantes. On commence cette semaine avec Vincent Goyat, le Directeur de la Création Lab4games, l’entité asmodee qui regroupe les studios Space Cowboys, Libellud, Days of Wonder, Repos Production et Next Move.

Vincent Goyat, le boss de la création de jeux de société

Vincent Goyat supervise la conception de tous les nouveaux jeux des 5 studios cités ci-dessus. Avec son équipe, il gère toutes les étapes du lancement d’un jeu : de l’identification à la sélection, et toutes étapes de son développement jusqu’à son implantation et sa commercialisation. Vincent est également auteur, il a co-signé certains de mes scénarios Unlock ! préférés, autant dire que ses paroles valent leur pesant de meeple.

 

creer jeu de societe : interview de Vincent Goyat

Marine : Quelle est la mission de ton Département, « Création – Nouvelles IP » ?
(ndlr : dans l’univers des jeux de société, on parle beaucoup de nouvelles « IP », pour « propriété intellectuelle », ce qui désigne un concept novateur, un nouveau jeu jamais vu auparavant).

Vincent : Notre but c’est de créer les nouveaux « diamants » de demain, de les mettre sur le marché et de faire en sorte qu’ils deviennent ce qu’on appelle chez nous des « evergreen », des jeux qui s’implantent durablement sur le marché. Ça ne nous intéresse pas de faire juste un coup, ce qu’on veut quand on lance un jeu, c’est qu’il plaise vraiment aux joueurs : on pense à eux, à ce qu’ils vont aimer, au feeling qu’ils vont avoir en jouant… Tout cela ça passe par une recherche d’excellence : dans les mécaniques de jeux, le design, les illustrations, la thématique, la qualité des matériaux… Et parfois on peut aussi travailler sur un jeu très «niche», parce que l’équipe est composée de passionnés… et qu’il faut aussi savoir faire des jeux qui s’adressent à un public très particulier.

M : Parle moi du « sourcing », comment vous sélectionnez les jeux pour vos différents studios ?

: Je gère le « sourcing » avec l’excellent François Descamps qui est en contact avec les auteurs. On rencontre des auteurs qui nous présentent leurs prototypes, essentiellement sur les différents salons. On y joue, chacun donne son avis et on décide si on veut proposer aux auteurs de travailler avec nous (via la signature de contrats). On prend nos décisions par rapport au marché, à ce qu’on cherche à un moment donné, par rapport au planning… mais aussi (et surtout) sur des coups de cœur ! On réalise ce travail pour nos 5 studios, pour lesquels on a préalablement réfléchi à un positionnement bien défini.

On réfléchit ensemble, avec l’équipe, si le jeu va bien s’intégrer au catalogue de l’éditeur, si son concept correspond bien à son ADN. C’est important que le chef de projet et le développeur du Studio croient au jeu, qu’ils soient embarqués. On ne travaille jamais à contre-cœur, on est dans un métier de création. Pour être créatifs, je pense qu’il faut que les gens soient persuadés qu’ils travaillent sur le meilleur jeu du monde, et ça passe par plein de critères. Et par-dessus tout, il faut que le travail avec l’auteur se fasse en équipe, que le résultat qu’on obtiendra plaise à tous, qu’on soit tous fiers une fois le jeu imprimé.

creer un jeu de societe comme Take Time

Take Time, la dernière pépite du jeu coopératif signée Libellud.

M : Est-ce que ça arrive que plusieurs studios se battent pour le même jeu ?

V : Oui, souvent mais dans ce cas-là il faut trancher, je mets mon gilet pare-balles et j’interviens. Blague à part : ça se passe toujours très bien. On a une super équipe.

M : À propos d’équipe, combien de personnes travaillent en moyenne sur un jeu ?

: On a une équipe de 6 chefs de projets qui gèrent l’ensemble des projets pour nos 5 studios. Les développeurs s’occupent aussi bien des nouvelles IP que des collections. Le schéma habituel, c’est : François détecte un jeu qui a du potentiel. Si on décide de le signer, on propose un contrat à l’auteur, on lui expose notre vision éditoriale (qui doit être partagée, bien entendu) et si on tombe d’accord, on alloue le jeu à un label et à un chef de projet. C’est lui qui gère le budget et le planning. Le chef de projet, c’est un peu l’équivalent du médecin généraliste, qui va ensuite décider de mobiliser des spécialistes.

Le « game developer » gère la partie mécanique du jeu et les règles, le directeur artistique et le « lead artist », qui vont s’occuper de toute la partie expérience du jeu, via d’intenses réflexions sur l’ADN du jeu, ce qu’il doit exprimer, ce qui doit se traduire dans ses illustrations, son habillage, ses matériaux. L’équipe travaille ensemble sur l’ergonomie. On cherche à ce que tout ait du sens, de la logique, on pense vraiment à tous les aspects. Le DA/Lead Artist va proposer des illustrateurs au chef de projet. Ensuite, tout est travaillé par des graphistes d’exception, qui mettent en page les cartes, plateaux, couverture, dos de boîtes… On a un expert des règles, qui va travailler à leur écriture, puis qui va suivre leur évolution via les diverses mises en pages, avant que notre relecteur, Jérôme ne relise les textes. On a aussi Angelina, notre traductrice, qui va tout mettre en anglais pour créer le « Master » (ça fait peur, hein ?), à savoir les fichiers « source » du jeu qui serviront ensuite de base pour décliner toutes les langues. Et là, c’est l’équipe de Mathilde et son « incredible préprod » qui sont chargés de décliner le jeu dans toutes ses versions.

En ce moment, on est en train de développer une quinzaine de jeux, donc on a une quinzaine de « task forces » en cours (ndlr : pour les 5 studios Lab4games), composées à chaque fois de gens différents. Un développeur peut donc se retrouver à travailler sur 2 ou 3 jeux en même temps, pareil pour un chef de projet.

creer un jeu de societe comme les aventuriers du rail

Créer un jeu de société, c'est une épopée digne des Aventuriers du Rail !

M : Est-ce qu’il vous arrive de briefer les auteurs sur une idée de jeu ou vous êtes plutôt à l’écoute des propositions de leur part ?

: C’est la seconde solution, toujours ! On a un marché d’offres, sur lequel on va aller chercher des jeux, qui vont s’intégrer à l’un de nos catalogues (jeu de plateau, jeu de société classique, jeu d’ambiance, jeu abstrait etc). On ne donne pas de briefs aux auteurs, ce sont eux qui sont inspirés, c’est un travail de créatif. Ils nous proposent leurs idées. A partir de ça, si on décide de signer le jeu, on voit avec eux si on garde le thème du prototype, ou si on décide de le changer. Si c’est le cas, on leur explique, on argumente, on essaie toujours d’embarquer les auteurs avec nous. On ne va jamais à l’encontre d’un auteur en lui imposant une thématique qu’il n’aime pas, parce qu’on veut qu’à la fin l’auteur soit fier de son jeu et du travail accompli, qu’il le défende… et éventuellement qu’on retravaille ensemble par la suite. On est vraiment dans une démarche de co-construction.

Ce qu’on préfère c’est travailler en ping-pong avec l’auteur, même si c’est nous qui signons le jeu et qui travaillons son édition, on tient l’auteur au courant des étapes de validation et il voit toujours le jeu avant qu’il ne parte en production. Nous, on trouve ça cool de travailler en équipe. Certains auteurs sont très volontaires pour ce partenariat, d’autres préfèrent suivre cela de plus loin. On s’adapte…

M : Pour déterminer si un jeu a du potentiel ou pas, tu crois à l’instinct ou à une approche plus rationnelle ?

V : C’est un vrai gros débat auquel tout le monde pourra apporter une réponse différente. Personnellement, je pense que tout dépend du marché. Sur un marché « mass market », ça va être très important de regarder le marché, les prix, les thématiques déjà utilisées, la pub… A partir de la demande on va analyser l’offre, envisager des études… Je suis persuadé, peut-être à tort, que nous, qui lançons des jeux auprès d’une clientèle de magasins indépendants et de spécialistes, on est un marché d’offre. Les joueurs aiment être surpris et « ne savent pas ce qu’ils veulent avant de le voir » (oui, j’exagère juste pour citer Steve Jobs dans le texte !). […] On ne fait pas d’études de marché au sens marketing du terme, avec des panels de 50 personnes qui donnent leur avis sur tout… Je déteste les « focus group », on peut être poussés à le faire, mais je préfère faire confiance à l’expérience de l’équipe.

Je bosse avec les équipes qui ont lancé 7 WondersAventuriers du RailSplendor, Dixit, Azul On est pas infaillibles, notre travail c’est aussi (et surtout) de se tromper, on le sait, mais on a toujours à cœur de faire au mieux possible. Si les « focus group » étaient la clé universelle, tous les produits qui sortent de multinationales seraient des succès assurés. Nous, en fait, on mise sur l’expérience et l’instinct. Mais il y a aussi du rationnel dans notre approche : on grandit avec le jeu, on travaille avec les différentes divisions d’asmodee, on montre le jeu, notamment sur des évènements, on recueille des feedbacks… On formule notre offre en partant de quelque chose qu’on veut pousser. Mais si, à un moment donné, on se rend compte qu’on fait fausse route, on a suffisamment d’étapes et de doute (c’est un métier de doute permanent) pour se demander si on continue ou pas, pour se poser les bonnes questions.

creer un jeu de societe comme Splendor

Collectionner des gemmes ludiques avec la bonne dose de rationalité... le métier de Vincent, finalement, c'est une partie de Splendor.

M : Qu’est-ce qui t’inspire ? Est-ce que vous êtes influencés par les tendances du marché ?

V : On est forcément inspirés par plein de choses. On essaie d’être originaux, de jamais voler une idée. Ça, c’est vraiment un leitmotiv, être exempts de tout reproche et surtout, on a pas envie de le faire. Après, forcément, on est inspiré par nos goûts, que ce soit en matière de jeu de société, de BD, cinéma, film d’animation, film tout court, roman… parce qu’on va aller chercher des thématiques, parce qu’on va aimer tel ou tel artiste… J’ai de la chance, je travaille avec des gens qui sont extrêmement brillants*, ce qui fait que ça marche… C’est pas grâce à moi, je ne fais rien, mais il faut pas le dire. [ndlr : trop tard !].

*Vu le nombre de fois où je le dis, j’espère qu’ils me paieront du chocolat. Noir à minimum 80% s’il vous plaît (oui, je suis désormais un adulte).

M : Quel conseil donnerais tu à quelqu’un qui a envie de créer son jeu et de sortir du lot ?

V : Jouer, jouer, il faut jouer et encore jouer ! Pour s’inspirer, pour voir ce qui est fait. Il faut lire, être ouvert à plein de choses, échanger avec les gens. Il faut se tenir informé des tendances. Après, il n’y a pas forcément de recette magique, il y a des gens très jeunes qui proposent des jeux hyper originaux, des gens dont c’est la première création. Des fois, on se dit « ce jeu est incroyable », et la personne n’est pas du tout dans le milieu. C’est assez incroyable, mais la création ludique, notamment en France, c’est vraiment impressionnant. Le niveau monte d’année en année, il y a des prototypes qu’on refuse aujourd’hui qu’on aurait signé il y a 10 ans. Donc le niveau monte, l’originalité monte, l’excellence monte. Il y a plus de 2000 jeux qui sortent sur le marché chaque année. Donc forcément les éditeurs sont de plus en plus professionnels. Et ça se ressent aussi chez les créateurs.

On a un formulaire pour les gens qui veulent soumettre leur idée de jeu, on en reçoit beaucoup. On en élimine environ 90% (on est de plus en plus sélectifs excellent nom pour un salon de coiffure). De temps en temps, il y a un truc qui arrive et qui fait date. Souvent, ce sont des gens qui, même s’ils n’ont pas déjà signé un jeu, s’intéressent au monde du jeu. Ils se sont forgés une culture ludique. Sans avoir joué à l’intégralité des jeux, on peut regarder les tops sur asmodee, Boardgame Geek, histoire d’éviter ce qui a déjà été fait, tout en s’inspirant. De temps en temps, il y a une création purement originale, avec quelque chose auquel on n’a jamais pensé, qui parfois crée même un nouveau segment de marché comme c’est arrivé pour les jeux de deck-building ou les jeux coopératifs. Mais il faut vraiment être super fort !

M : Dernière question : qu’est ce qui te procure le plus de satisfaction dans ton boulot ?

V : Le « société » dans « jeu de société » (c’est beau, c’est pas de moi, c’est de Jacqueline, ma maman). Rencontrer les gens sur les festivals, aller à la rencontre des auteurs, échanger avec eux. Et ce que j’aime aussi beaucoup, c’est travailler avec des gens compétents, que j’apprécie, qui sont humains et drôles. Je ne pourrais pas travailler avec des c*** (ndlr : on vous laisse interpréter, sachant que le mot n’est ni « cannibale » ni « crocodile »). Donc j’ai vraiment beaucoup de chance. Arriver à la fin d’un projet et se dire «Cool, on a réussi à obtenir un résultat dont tout le monde est fier, et en plus on s’est bien marrés en le faisant ». Croc, ce grand penseur (à qui je passe le bonjour, on fête bientôt nos dix-huit ans de vie professionnelle commune) m’avait dit une fois qu’il fallait travailler sérieusement sans se prendre au sérieux. J’essaye toujours d’appliquer cette vision.

Un immense merci à Vincent Goyat pour le temps qu’il m’a accordé (d’autant que, vous l’aurez compris, il est plutôt très occupé).
Si vous vous posez encore des questions sur le métier d’éditeur de jeux de société, vous pouvez aussi visionner ce live Twitch avec Martin Bouchard de Final Score Games pendant lequel il racontait le développement du jeu Ink.

Et on se retrouve très vite pour la suite de cette mini saga sur la création de jeux de société, avec Bryan Bornmueller, l’auteur du Jeu de plis coopératif Seigneur des Anneaux – La Communauté de l’Anneau.

Marine

Rien ne me captive autant que les histoires : les écouter, les raconter… Je crois farouchement au pouvoir des mots et carbure à l'imaginaire. Chez moi, on trouve donc des livres et des jeux, mais aussi des boissons chaudes, une bande son de qualité et 2 trolls. Bien dans ma bulle, j'accepte volontiers d'en sortir à la perspective d'une partie de jeu de société. Le contexte rêvé pour apprendre à se connaître ou créer des souvenirs mémorables… qui vaudront la peine d'être racontés.

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Unlock!
Aventuriers du Rail
7 Wonders
Splendor
Dixit
Azul
Take Time

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