Création d’un jeu de société (2/2) : en coulisses avec Bryan Bornmueller.

Nous avions commencé notre plongée dans les coulisses de la création de jeu de société avec une interview foisonnante de Vincent Goyat, directeur de la création Lab4Games. On poursuit cette semaine avec un autre expert en la matière : Bryan Bornmueller, Directeur du Sourcing et de l’innovation pour asmodee aux Etats-Unis mais aussi auteur ! J’ai eu la chance de pouvoir échanger avec lui sur sa dernière création, le jeu de plis coopératif La Communauté de l’Anneau.

Bryan Bornmueller, auteur et éditeur de jeu de société

Bryan vit à Minneapolis, il a plus de 20 ans de carrière dans le secteur des jeux de société et il a été impliqué dans tout le cycle de vie des jeux : conception, développement, production, ventes, logistiques, marketing… Son rôle actuel consiste à dénicher toutes les futures pépites des jeux de plateaux et de cartes qui seront éditées par les studios du groupe asmodee, pour le marché américain. Il est aussi l’auteur du récent (et génial) Jeu de plis coopératif Le Seigneur des Anneaux La Communauté de l’Anneau (Office Dog), l’un des lancements les plus originaux et réussis de l’année 2025, dont le second opus est déjà annoncé pour début 2026 en France.

Marine : Qu’est-ce qui t’inspire, d’une manière générale et plus particulièrement dans l’univers ludique ?  

Bryan : L’inspiration peut venir de partout. J’essaie de lire, de voyager, d’observer le monde et de noter les choses que je trouve intéressantes. Une fois que je commence un projet, je trouve que les contraintes sont très inspirantes et représentent un puzzle amusant à résoudre.

M : As-tu l’impression d’être influencé par les tendances du marché lorsque tu sélectionnes ou crée un jeu ? 

B : Étant passionné par les jeux de société depuis toujours, je ne peux m’empêcher d’être influencé par ce qui se passe dans le monde ludique. Beaucoup de grands jeux dialoguent avec ceux qui les ont précédés, mais lorsqu’ils apportent quelque chose en plus ou qu’ils combinent deux idées intéressantes, cela peut donner naissance à quelque chose de totalement nouveau.

M : Quand tu sources un jeu, détectes-tu immédiatement son potentiel ? Est-ce une démarche qui relève de l’instinct ou de critères plus pragmatiques ?

B : Pour moi, rechercher des jeux repose sur l’instinct, je dois ressentir une étincelle. Quand je teste un prototype, j’attends cette excitation qui naît d’une grande idée présentée de façon particulièrement ludique. Les meilleures idées sont celles qui s’expliquent facilement et qui s’enchaînent bien une fois en jeu. Une fois cette étincelle trouvée, le reste du processus devient beaucoup plus concret et pragmatique : nous jouons encore et encore pour affiner ce qui fonctionne ou non, tout en gardant à l’esprit cette étincelle initiale et en la protégeant par-dessus tout.

M : Quel conseil donnerais-tu à un auteur qui souhaite créer son propre jeu de société ?

B : Dès que vous avez une idée de jeu, n’importe laquelle, sortez-la de votre tête et mettez-la sur une table aussi vite que possible. L’un des grands avantages des jeux de société est la facilité avec laquelle on peut passer de l’idée à la réalité physique. Ne vous bloquez pas en cherchant les “bons” outils, la bonne technologie ou un rendu esthétique : utilisez ce que vous avez sous la main et testez votre idée.

J’ai fait la majeure partie du travail de conception du Jeu de plis coopératif La Communauté de l’Anneau uniquement avec Apple Pages (ndlr : un équivalent de Word). Je ne recommande pas cet outil en particulier, c’était simplement le plus rapide pour moi afin de démarrer. J’ai créé des cartes simples, je les ai imprimées et mises dans des protège-cartes pour jouer. Je teste toujours mes prototypes seul en premier (même si ce n’est pas un jeu solo), puis si cela fonctionne plutôt bien, je le montre à des personnes de confiance. Le cycle “jouer – ajuster” est la partie la plus importante de la création de jeux, et tout le reste doit servir uniquement à pouvoir rejouer aussi vite que possible.

M : Suis-tu une méthode pour concevoir tes jeux ?

B : Je crois fermement au jeu et aux « playtests ». Bien sûr, il faut travailler seul sur les éléments individuels du jeu et fabriquer les prototypes, mais tout cela doit avant tout servir à jouer, le plus fréquemment possible. Les discussions autour d’un projet doivent s’appuyer sur de vraies parties, et non sur des suppositions théoriques. La partie la plus délicate lors des tests, c’est de réussir à rester concentrer sur le fait d’observer les joueurs et de vérifier si vous obtenez la réaction attendue. Il ne faut pas prendre toutes leurs suggestions comme des injonctions à appliquer. De temps en temps, un testeur a une excellente idée, mais c’est vous qui connaissez le mieux votre jeu, et leurs réactions spontanées sont précieuses pour savoir si vous avez atteint votre objectif.

Pour mes propres jeux, dont La communauté de l’anneau – le jeu de plis coopératif, j’ai été heureux de participer à toutes les étapes, de la conception jusqu’à la remise finale des fichiers d’impression. J’ai eu la chance de travailler avec un développeur exceptionnel, Taylor Reiner, qui a mené des centaines de tests, et de collaborer avec une équipe de classe mondiale pour le graphisme et les illustrations.

M : Qu’est-ce qui est différent lorsqu’on crée un jeu sous licence, aussi connue que peut être la licence du Seigneur des Anneaux ? Comment as-tu appréhendé ce défi ?

B : Travailler sur Le Seigneur des Anneaux a été incroyablement amusant et constamment inspirant. Essayer de concevoir des personnages précis et d’intégrer des moments iconiques de l’histoire dans les mécaniques du jeu de base m’a sans cesse donné de nouvelles idées. C’était le meilleur défi imaginable, cela me tenait vraiment à cœur de rendre le jeu fidèle à l’œuvre d’origine.

M : Qu’as-tu imaginé en premier, l’univers ou les mécaniques de jeu ?

B : C’est un de ces rares cas où les deux sont arrivés en même temps. J’ai toujours beaucoup aimé les jeux de plis et je planchais sur de petits jeux de cartes lorsque l’opportunité de travailler sur Le Seigneur des Anneaux s’est présentée. Tout s’est alors enchaîné extrêmement vite. Ma première version « solide » du jeu est devenue peu ou prou le chapitre 13 de la version finale.

M : Combien de temps s’est écoulé entre vos premières réflexions sur le jeu et sa sortie ?

B : Un peu plus de deux ans se sont écoulés entre mon premier prototype et le jeu final. Environ un an a été consacré à la conception et au développement. Nous avons commencé par un scénario autonome avec les 9 membres principaux de la Communauté, mais nous avons constaté que c’était un peu trop complexe pour les nouveaux joueurs. Nous avons donc décidé de créer un scénario d’introduction. À partir de là, nous avons vite évolué vers un découpage du jeu en chapitres individuels suivant les livres. La deuxième année a été consacrée à la localisation (le jeu est disponible en 19 langues et plus !) et à la production.

M : Ton approche créative a-t-elle été différente pour créer la suite (Les Deux Tours) ? Était-elle envisagée au moment où vous avez conçu La Communauté de l’Anneau (ndlr : avec Taylor Reiner, le game developer) ?

Dès que nous avons décidé de découper le jeu autonome en chapitres, j’ai immédiatement voulu couvrir les trois romans dans leur intégralité. Nous n’avons réellement commencé à travailler sur la suite qu’après avoir terminé la conception de La communauté de l’Anneau. La conception des Deux Tours (ndlr :sortie prévue en France début 2026) est parti de la structure du roman Les Deux Tours. Dans La Communauté de l’Anneau, Frodon est presque toujours présent, mais dans Les Deux Tours, nous ne le voyons pas du tout dans la première moitié. Cela signifiait que nous devions retirer les cartes « Anneau » du paquet, jusqu’à ce que Frodon et l’Anneau réapparaissent plus tard. Pour combler ce vide, nous avons ajouté deux cartes “Tours de pouvoir” (une Tour Blanche et une Tour Noire) ainsi que des cartes Orques redoutables. Cela nous a offert un nouvel espace créatif pour imaginer de tous nouveaux objectifs de personnages. Nous avons pris beaucoup de plaisir à concevoir des chapitres originaux et passionnants pour capturer les moments iconiques des Deux Tours.

M : Qu’est-ce qui t’apporte le plus de satisfaction dans ton travail ?

B : Ce que je préfère par-dessus tout, c’est d’entendre des joueurs qui ont joué à l’un de mes jeux et qui ont passé un excellent moment. J’adore voir des photos ou lire des histoires de la façon dont ils y ont joué, et j’aime l’idée que des gens se connectent entre eux autour d’une table de jeu. Si vous connaissez un auteur de jeux et que vous jouez à l’un de ses jeux pour le plaisir, envoyez-lui toujours une petite photo, on adore ça !

Ainsi s’achève notre mini saga sur l’édition de jeux de société. Merci encore à Bryan pour le temps qu’il a pris pour répondre à mes questions. Si vous voulez en savoir plus sur son travail de création autour du Jeu de plis coopératif La Communauté de l’Anneau et que vous lisez l’anglais, je vous recommande également la lecture de cet article. J’espère que cette plongée dans les coulisses de la création vous a plu ! Si vous vous posez encore des questions sur le monde ludique, n’hésitez pas à nous les envoyer sur les réseaux sociaux, nous tâcherons d’y répondre lors de prochains articles.